I
Imhotep était assis en face d’Esa. Il était nerveux.
— Ils racontent tous la même histoire ! dit-il.
— Ça vaut mieux ! déclara Esa.
— Comment, « ça vaut mieux » ? s’exclama Imhotep. Quelle singulière façon de parler !
Esa eut un petit rire.
— Je sais ce que je dis, mon fils !
Avec importance, Imhotep répliqua :
— Disent-ils la vérité ? C’est là ce qu’il me faut décider. La vieille femme rit de nouveau.
— Te prendrais-tu pour la déesse Maat, ou croirais-tu pouvoir, comme Anubis, peser les cœurs dans une balance ? Imhotep hochait la tête avec gravité.
— A-t-elle été vraiment victime d’un accident ? Je ne dois pas perdre de vue que l’annonce de mes intentions pouvait avoir jeté le trouble dans mon ingrate famille.
— C’est le moins qu’on puisse dire ! fit remarquer Esa. Ils discutaient avec une telle passion que, d’ici, j’entendais tout ce qu’ils disaient. Au fait, ces intentions que tu annonçais, elles correspondaient vraiment à ta pensée ?
Imhotep, gêné, détourna son regard et murmura :
— J’ai écrit sous le coup d’une juste colère… Ma famille avait besoin d’une solide leçon !
— Autrement dit, tu voulais seulement faire peur à tes fils. C’est bien ça ?
— Quelle importance cela peut-il avoir, maintenant ?
— Ce qui revient à dire, reprit Esa, que tu ne savais pas au juste ce que tu te proposais de faire. Des idées confuses, comme toujours…
Imhotep devait se dominer pour ne pas se laisser emporter par l’irritation qu’il sentait monter en lui.
— Ce que je dis, répliqua-t-il, c’est que cette question ne présente plus actuellement aucun intérêt. C’est de la mort de Nofret qu’il s’agit. Si je croyais qu’un des miens eût pu être assez oublieux de ses devoirs, assez fou pour avoir délibérément voulu du mal à cet enfant, je… je ne sais pas ce dont je serais capable !
— C’est pourquoi il est heureux qu’ils racontent tous la même histoire ! Personne n’a jamais insinué que les choses se sont passées autrement qu’ils ne disent, n’est-ce pas ?
— Non.
— Alors, pourquoi ne pas considérer l’incident comme clos ? Tu aurais dû emmener Nofret dans le Nord avec toi. Je te l’avais recommandé…
— C’est donc que, toi, tu crois que…
Esa lui coupa la parole avec autorité :
— Je crois ce qu’on me dit, à moins que ce qu’on me dit ne soit en contradiction absolue avec ce que j’ai vu de mes yeux, ce qui est aujourd’hui bien peu, ou entendu de mes oreilles. J’imagine que tu as interrogé Henet. Que dit-elle ?
— Elle est très, très triste… À cause de moi.
Esa haussa le sourcil.
— Tu m’étonnes !
— Henet a beaucoup de cœur.
— Si tu veux !… Elle a été aussi très bien servie en fait de langue. Si elle n’a rien à dire et si elle se contente de compatir à ta douleur, c’est bien certainement qu’il n’y a rien à dire et que tu peux considérer cette histoire comme terminée. Il y a assez de choses dont tu as à t’occuper !
— C’est juste !
Imhotep se leva, toute sa prétentieuse importance retrouvée.
— Yahmose, dit-il, m’attend en ce moment même pour m’entretenir d’un certain nombre d’affaires au sujet desquelles il est urgent que je prenne des décisions. Je vais le rejoindre. Ainsi que tu le dis avec sagesse, nos douleurs intimes ne sauraient nous empêcher de tenir dans l’existence le rôle qui nous est assigné !
Il quitta la pièce avec majesté.
Esa, un sourire ironique sur ses vieilles lèvres, les regarda sortir, puis, le visage redevenu grave soudain, elle poussa un soupir et hocha lentement la tête…